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Jean Prod'hom face au glacier Jean Prod'hom face au glacier

Les textes publiés par Jean Prod’hom sur son site lesmarges.net sont un des plus beaux et rares exercices de quotidien en ligne: chaque jour, il raconte le jour, pour que tout ne s’échappe pas en vain, pour passer les heures dans le tamis de l’écriture et retenir quelques pépites soigneusement déposées sur les lignes de son blog. Chaque matin, il remet son attention en jeu, comme on jette les dés, pour s’ouvrir à l’imprévu, à ce qui se présentera au fil de la journée. Avec toute la patience et la discrétion nécessaire, Jean se tient à l’affût, comme un ornithologue – pas un hasard qu’il aime tant les oiseaux (et le chardonneret en particulier). Il laisse les mots faire corps avec le vécu le plus élémentaire. Il sympathise avec tout ce qui fait d’une routine un petit chemin de vie et de sens, et non plus uniquement une somme d’obligation à réaliser à marche forcée. Il écrit au ras du temps, à hauteur d’heure. Une unité de temps et de lieu: la journée et les paysages de sa vie ordinaire. Rien de plus. Rien de moins. Les amis, le travail, les trajets, des choses vues, la famille, tout ce qu’il y a de plus banal, de plus commun à tous: le pain quotidien de la vie ressaisi avec sensibilité et pudeur. Pas de sensiblerie, de faux effets. Toutes ses réflexions sont enracinées dans le terreau fécond du quotidien. Pas d’envolées métaphysiques qui seraient dissonantes avec son propos et effaroucheraient tout ce qu’il invite dans ses textes. Justesse et maîtrise de ton, malgré l’urgence à dire ou grâce au plaisir de dire, sans déraper sur le verglas du verbe.

La semaine commence, il faudra une fois encore prendre des mesures pour qu’elle ne m’avale pas d’un coup. Me retirer chaque fois que cela est possible, pendant la récréation que je surveille ce matin, à midi lorsque la cour déserte est remplie de lumière, plus tard avec les derniers rayons du soleil.

Monsieur Prod’hom vous enluminez ma journée. J’aime la petite musique des mots qui sous-tendent votre vie. Votre blog est exemplaire. J’attends votre courrier quasi quotidien avec l’impatience qu’on a à recevoir une bonne nouvelle, avec la joie des amoureux de ce qu’il me plaît d’appeler Le royaume familier: le royaume de ce qui passe souvent inaperçu et qui, pourtant, fonde nos vies. Vous m’apportez une grande bouffée d’être.

Retenir, cueillir, noter quelque chose, le matin déjà, c’est accepter que cette chose, quelle qu’elle soit, infléchisse notre parcours, oriente notre regard, anime nos pensées jusqu’au soir ; elle nous oblige à cesser d’être à la traîne, à nous extraire de nous-mêmes et du monde, à prendre les devants, à donner une couleur à ce qui nous entoure et que nous découvrons pour la première fois. Marcher, regarder, penser deviennent des aventures.

Après ce crochet dans les marges, je poursuis mon chemin. Dans la descente du village, une équipe de bûcherons règle leur compte à des ormes. J’imagine qu’ils ont de bonnes raisons de le faire… Certains sont déjà décapités, laissant apparaître leur souche fumante. Cette route porte bien son nom: route de la Scie.

Le chant vitalisant du merle à la tombée de la nuit me saisit par surprise et pulvérise toutes les petites tracasseries rencontrées durant la journée, pour quelques instants du moins. Et je reconnais bien là un de mes maîtres de présence.