Tessons

Après avoir passé plus d’une heure à farfouiller parmi du tout-venant au bord du lac, j’ai trouvé ce qui pourrait être mon premier tesson, à la plage dite du Pélican, à Saint-Sulpice. Il est insignifiant au regard du trésor que je me promettais d’exhiber devant Jean. Je n’ai pas eu la chance du débutant. Tant mieux. Je ne suis d’ailleurs même pas sûr que ce soit bien un tesson que j’ai trouvé. J’ai bien compris le sens lexical du mot tesson, mais je ne me suis pas encore suffisamment frotté à sa réalité. Il est entouré d’odeurs, d’eau, de soleil et de pluie, de rencontres, avec les cygnes et les promeneurs. C’est une expérience, avant toute chose, qui fait intervenir tous les sens, à commencer par le toucher: l’incroyable douceur de ces bouts de céramique ou de verre, polis par le ressac, dont tout le coupant s’est atténué pour devenir soyeux comme les naseaux d’un cheval.

Le chercheur de tesson semble avoir perdu quelque chose qu’il cherche parmi les cailloux, branchages, vases, coquillages, bouts de cordage ou de plastique. Du moins c’est l’impression que je me donnais. J’aurais bien été en peine d’expliquer  à une connaissance rencontrée là ce que j’étais en train de faire, ou pourquoi je le faisais ni ce que je m’attendais à trouver. Et pourtant, je crois qu’à compter de ce jour mon commerce avec les rives lacustres ne sera plus le même. Pas à pas, ma relation avec ces lieux pourrait gagner en profondeur grâce aux tessons qui m’offrent de partir à leur recherche.

Je reviendrai sur ces fragments qui m’amènent à me poser tant de questions auxquelles Jean, quêteur confirmé et obstiné, me répondait avec espièglerie l’autre jour:

– C’est dans le livre!

J’ai donc acheté le livre Tessons aux éditions d’autre part. Je le lirai après avoir effectué quelques premiers travaux pratiques au bord du lac.